DROIT DE PROPRIETE ET EMPIETEMENT – Quelle sanction pour l’ouvrage empiétant sur la parcelle voisine sur une largeur de 18 cm ?
Cass.civ.3, 4 mars 2021, n°19-17.616
Même de faible ampleur, l’empiétement d’un ouvrage sur le fonds d’autrui doit encourir la démolition. C’est que ce rappelle la Haute juridiction aux termes de cette décision rendue le 4 mars 2021.
Dans cette affaire, le propriétaire qui subissait un empiétement avait saisi la juridiction civile d’une demande de démolition :
- du mur des voisins dont les fondations empiétaient sur sa parcelle et
- du mur édifié en partie sur sa parcelle.
Le débordement des fondations sur le fonds de notre propriétaire, était de seulement 18 cm.
Ce dernier soutenait néanmoins que le propriétaire d'un fonds sur lequel la construction d'un autre propriétaire empiète, fût-ce de manière minime, peut obtenir la démolition de la partie d'ouvrage dépassant sur sa parcelle.
La Cour d’Appel de Lyon retient que :
« l'absence d'empiétement des murs mais l'existence de débordements des fondations de béton qui, de faible ampleur et aisément "rectifiables d'un coup de pioche", ne peuvent justifier la démolition entière d'un mur ».
La cour d'appel avait relevé que le débordement des fondations d'une ampleur de 18 cm étaient « rectifiables d'un coup de pioche ». L’auteur du pourvoi soutenait qu'en n'ordonnant pas en tout état de cause la démolition de ces empiétements, la cour d'appel avait derechef violé les dispositions l'article 545 du code civil.
La Haute juridiction casse l’arrêt rendu en retenant que :
« En statuant ainsi, alors qu'ayant constaté un empiétement, fût-il minime, il lui incombait d'ordonner toute mesure de nature à y mettre fin, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Cette décision est fidèle à une jurisprudence ancienne. La mesure de l’empiétement importe peu (Cass.civ.3, 20 mars 2002, n° 00-16.015, pour la destruction de l’ouvrage empiétant de 0,5 centimètres sur une autre parcelle).
Par ailleurs, des moyens tirés de la bonne foi du constructeur (Cass.civ.3, 21 novembre 1969) ou de la mauvaise foi du propriétaire qui a gardé le silence pendant l’édification de la construction (Cass.civ.3, 18 février 1998, n° 95-19.106) sont inopérants.
Ainsi, la demande de démolition de la construction, formulée par le propriétaire, doit être accueillie, sauf s’il est possible de faire cesser l’empiétement par un autre moyen comme le rabotage du mur litigieux (Cass.civ.3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113).
Une décision antérieure avait cependant créé le doute.
Dans un arrêt de 2019 (Cass.civ.3, 19 décembre 2019, n°18-25113), la Cour de cassation avait en effet considéré que :
« un immeuble d’habitation construit par le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude conventionnelle de passage empiétant sur l’assiette de cette servitude, prive sa décision de base légale la Cour d’appel qui ordonne la démolition de l’immeuble sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette mesure n’est pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Cette décision pouvait ainsi laisser penser que les juges du fond devraient préalablement vérifier si la démolition n’est pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile.
Néanmoins, cette décision était relative à des circonstances très particulières. Dans ce cas d’espèce, l’empiétement dont s’agit n’était pas causé chez le voisin, mais sur une servitude de passage appartenant à l’auteur de l’empiétement.
Il est intéressant d’évoquer une autre décision de 2017 dans laquelle la Cour de cassation avait refusé de faire application du principe de proportionnalité en la matière ou de considérer que la défense du droit de propriété pouvait dégénérer en abus.
Dans cette décision (Cass.civ.3, 21 décembre 2017, n° 16-25.406), la Cour de cassation avait retenu :
« Mais attendu que tout propriétaire est en droit d’obtenir la démolition d’un ouvrage empiétant sur son fonds, sans que son action puisse donner lieu à faute ou à abus ; que l’auteur de l’empiétement n’est pas fondé à invoquer les dispositions de l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que l’ouvrage qu’il a construit méconnait le droit au respect des biens de la victime de l’empiétement ».
Voir également, sur le droit de propriété et la situation d'enclave : https://www.mury-avocats.fr/blog/articles/propriete-et-enclave-sur-la-charge-de-la-preuve-de-l-interdiction-administrative-a-l-origine-de-l-etat-d-enclave
Sur l'action en revendication de l'indivision : https://www.mury-avocats.fr/blog/articles/procedure-et-indivision-l-action-en-revendication-de-la-propriete-indivise-peut-etre-exercee-par-un-seul-indivisaire