Cass.civ. 3ème, 8 avril 2021, 20.18327
Ce cas d’espèce concerne l’hypothèse où les copropriétaires subissent des nuisances de la part d’un locataire de l’immeuble avec lequel ils n'ont aucun rapport contractuel.
En vertu de l'effet relatif des conventions, leurs demandes devraient être dirigées exclusivement à l’encontre du copropriétaire bailleur, à charge pour ce dernier de faire respecter le règlement de copropriété voire de résilier le contrat de bail.
L’action des copropriétaires victimes peut donc se heurter à une situation de blocage si le copropriétaire bailleur n’agit pas.
L’action oblique est un moyen judicieux de contourner cette difficulté.
Cette action est intéressante en ce qu’elle permet de dépasser l’effet relatif des conventions et d’offrir au créancier la possibilité d’agir au lieu et place de son débiteur pour défendre ses propres intérêts.
Si on considère que les copropriétaires sont réciproquement des créanciers pouvant invoquer le règlement de copropriété les uns à l'encontre des autres, ils peuvent user de cette voie d’action.
C’est ce que retient la jurisprudence et la décision rendue le 8 avril dernier par la 3ème chambre civile permet de rappeler cette solution.
Dans cette affaire, les copropriétaires victimes de nuisances sonores et olfactives avaient assigné la société locataire de l’un des copropriétaires, dont l’activité portait sur la réparation de scooters. Les copropriétaires demandaient judiciairement la résiliation du contrat de bail et l’expulsion de ladite société. Les plaignants sollicitaient également dans l'attente de l’expulsion, l’interdiction de toute activité de réparation de scooters dans les locaux pris à bail.
- Qui peut exercer l'action oblique ?
Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle qu’aux termes de l'ancien article 1166 du code civil, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur à l'exception de ceux exclusivement attachés à la personne.
Sur ce point, l’arrêt cite une décision ancienne permettant au syndicat de copropriétaires, en cas de carence du copropriétaire-bailleur, d'exercer l'action oblique en résiliation d’un contrat de bail dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements lorsqu’ils sont contraires au règlement de copropriété, causent un préjudice aux autres copropriétaires (Cass.civ.3ème, 14 novembre 1985, n° 84-15577).
Le syndicat des copropriétaires n’est pas seule personne à pouvoir exercer un tel recours dont les copropriétaires bénéficient également. Il ainsi été jugé que le règlement de copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire a le droit d'en exiger le respect par les autres (Cass.civ.3ème, 22 mars 2000, n° 98-13345).
Selon l’arrêt :
« Il [résulte de la jurisprudence précitée] que, titulaire de cette créance, tout copropriétaire peut, à l'instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d'un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété contenues dans celui-ci ».
- Sur la preuve du manquement du débiteur de l'obligation principale
Dans un second temps, la Haute juridiction relève qu’il y avait bien eu violation du règlement de copropriété puisque le copropriétaire-bailleur qui avait été avisé par les autres copropriétaires, n’avait pas agi pour faire respecter le règlement de copropriété :
« ayant retenu que la résolution n° 12 de l'assemblée générale du 25 juin 2012 autorisant les travaux à réaliser par la société FMJ Scooter était, en ce qu'elle visait à l'acceptation des nuisances provoquées par l'activité de cette société, contraire aux stipulations du règlement de copropriété selon lesquelles chaque copropriétaire devait veiller à ne rien faire qui pourrait troubler la tranquillité des autres occupants et que M... L..., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité de la société FMJ Scooter, n'avait pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes ».
Ce passage de la décision met en relief la carence du copropriétaire bailleur vis-à-vis du règlement de copropriété, tout en rappelant que le syndicat des copropriétaires ou les copropriétaires, doivent apporter la preuve de la négligence du copropriétaire (voir sur ce point : CA NANCY, 2ème chambre civile, 9 avril 2015, n°13-03512).
Dans ce prolongement, la Cour de cassation considère que la cour d'appel a retenu à bon droit que les demandeurs étaient recevables, chacun ès-qualités de copropriétaires, à exercer au lieu et place du copropriétaire bailleur, une action oblique en résiliation du contrat de bail à l'encontre de la société locataire.
D'une manière très concrète, l’action oblique facilite les recours des copropriétaires et de la copropriété puisqu’elle évite que leur action ne soit retardée par la carence et l’inaction de l'un des copropriétaires.