CONSTRUCTION – Sur les causes exonératoires de responsabilité en matière de garantie décennale
Cass. civ. 3ème, 28 janvier 2021, 20-13.242
L'arrêt commenté permet d'illustrer l'une des quelques causes d'exonération qui existent en matière de responsabilité décennale.
Il s'agit de l'hypothèse dans laquelle le maître d'ouvrage choisit de prendre délibérément un risque.
- Rappel des causes exonératoires prévues en matière de responsabilité décennale des constructeurs
Rares sont les causes exonératoires prévues pour les constructeurs dont la responsabilité de plein droit est recherchée sur le fondement de l’article 1792 du code civil. Cette disposition limite en effet les causes d’exonération des constructeurs aux seules hypothèses de la cause étrangère que sont la force majeure, le fait du tiers et la faute de la victime.
Dans la jurisprudence, la faute du maître de l’ouvrage peut prendre plusieurs formes. Il peut s'agir de l’hypothèse dans laquelle le maître d’ouvrage concourt à la réalisation du dommage qu’il prétend subir. Cette faute peut aussi consister en une mauvaise utilisation de l’ouvrage par le maître de l’ouvrage.
Peuvent enfin être exonératoires, l’immixtion fautive et la prise délibérée d’un risque par le maître d’ouvrage. L’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation est l'occasion de rappeler la distinction entre ces deux dernières notions.
- Immixtion du maître d'ouvrage, prise délibérée d’un risque et conséquences sur la preuve
Si elle n’est pas toujours aisée, la distinction entre ces fautes est d'importance car pour être exonératoire, l’immixtion est subordonnée au constat d’une compétence notoire du maître d’ouvrage en matière de construction.
Il a par exemple été jugé que la compétence d’agent immobilier pour le maître d’ouvrage qui impose le choix d’un matériau inapproprié à des opérations de prestige, n’est pas suffisante pour retenir que ce dernier était compétent (Cass. 3e civ., 19 sept. 2019, n° 18-15.710).
De plus, l’immixtion est un comportement consistant, pour le maître d’ouvrage, à exercer un rôle actif dans l'opération de construction qui devra également être prouvé.
La preuve de ce que le maître d’ouvrage a pris un risque de façon délibérée apparaît quant à elle plus simple.
En effet, dans cette hypothèse, le maître d'ouvrage doit seulement avoir été avisé des risques inhérents à l'absence de réalisation de certains travaux ou à l'absence d'utilisation de certaines compétences ou techniques de la construction (Cass. 3e civ., 11 déc. 2007, n° 06-21.908).
En outre, l'exonération de responsabilité n'est pas réservée au constructeur qui a informé le maître d'ouvrage et peut bénéficier à tous les acteurs de la construction (Cass. 3e civ., 15 déc. 2004, n° 02-16.581, n° 02-16.910, n° 02-17.893 : JurisData n° 2004-026178 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 96).
Néanmoins, le maître d’ouvrage doit avoir pris le risque de manière délibérée ce qui implique pour le constructeur de prouver :
- que le maître d'ouvrage a été informé des risques,
- que ce dernier était à même de comprendre les conséquences des risques qu'il prenait
- et enfin, qu’il avait expressément accepté ces risques.
La décision du 28 janvier 2021 permet de rappeler ces différences. Dans cet arrêt, la Cour de cassation qui retient que la cour d’appel a légalement justifié sa décision, relève notamment que « la société DSDT avait demandé la modification de l'implantation des deux escaliers pour obtenir un gain d'espace, au mépris de ses engagements et de l'avis du bureau de contrôle, s'affranchissant des prescriptions de ce dernier en connaissance de cause ».
Ce passage montrant que le maître d’ouvrage avait été informé du risque par le bureau de contrôle et avait persisté dans cette démarche, met bien en relief l’intensité de la prise de risque qui était choisie par le maître d’ouvrage.
La société DSDT soutenait notamment que le maître d'ouvrage n'avait pas eu de compétence notoire dans le domaine d'intervention du constructeur, ce qui laisse penser que l'auteur du pourvoi a tenté de déplacer les débats vers la notion d'immixtion que le constructeur aurait sans doute eu plus de mal à démontrer.
La 3ème chambre civile rejette le pourvoi en retenant que la cour d'appel avait parfaitement pu déduire des faits ci-précédemment rappelés que « la société DSDT avait une part de responsabilité dans la non-conformité des escaliers » en précisant bien que l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage n'est pas la seule cause exonératoire de responsabilité pour les constructeurs poursuivis au titre de la garantie décennale.
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043106155?isSuggest=true